Des thons, y’en a plein la mer, et des cons y’en a plein la terre ! » Avec son incomparable faconde, le Ciotaden Gérard Carrodano a tôt fait de résumer en une phrase ce que pense tout le petit monde des pêcheurs provençaux. À savoir que le stock de thons rouges jadis menacé semble en bonne voie de reconstitution. Sentinelle de la Méditerranée, spécialiste des captures d’espèces vivantes pour les plus grands aquariums européens et pêcheur d’espadon à la palangre, ce marin expérimenté de 59 ans, qui passe bon nombre de journées en mer, est confronté à un problème de taille : des thons rouges se prennent dans ses lignes, mais il ne peut pas les relever car il est victime des quotas imposés par la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (Iccat). « Ils ont oublié de me comptabiliser l’agrément du thon rouge alors qu’il ne s’en est jamais vu autant. Pas uniquement parce qu’on a imposé des quotas mais parce qu’il y a de la bouffe et que la qualité de l’eau s’est améliorée. Résultat, l’Iccat fait sa salade avec les thoniers senneurs aussi difficilement contrôlables que les plaisanciers, et nous, les petits métiers, on n’est pas protégés alors que nous sommes des petits bateaux à faibles quantités, des microbes dans la mer. Pourtant la ressource est là. Nous, on exerce un métier de passion et ils nous démolissent », s’agace Gérard Carrodano. « Cette répartition des quotas est un scandale ». Lobbying intense ou véritable photographie d’une recrudescence salvatrice ? Depuis 2007 et l’avis alarmiste du comité scientifique de l’Iccat et les campagnes de sensibilisation menées par certaines ONG, le plan de reconstitution (2007-2022) ne cesse d’opposer les petits métiers aux instances internationales qui ont fixé les quotas de la France à 2 471 tonnes, répartis en 2 199 tonnes pour la Méditerranée, 247 tonnes pour l’Atlantique et 25 tonnes pour la pêche de plaisance. Mais avec seulement 33 autorisations de pêches cette année, la région tire la langue quand les thoniers senneurs réalisent parfois leurs quotas en deux jours… « De mon point de vue d’ONG, c’est clairement un scandale cette répartition des quotas quand on sait qu’un petit pêcheur fait vivre deux familles par an », estime même Denis Ody, responsable de la cellule Marine Méditerranée du WWF. Dans ces conditions, peut-on attendre de l’Iccat qu’elle modifie ses quotas pour répondre aux exigences artisanales ? « L’Iccat voit ses quotas de façon globale depuis des zones de vérification situées aux Baléares. Et il y a eu des abus des senneurs dans la zone qui ont entraîné la baisse des quotas (à 13 500 tonnes globalement quand les captures atteignaient 50 000 tonnes en période de surexploitation, NDLR) », éclaire Christian Molinero, président du comité des pêches de Paca. Lequel entrevoit tout de même une éclaircie pour les artisans pêcheurs ulcérés par une « présence massive des thons » qui s’oppose à une saison ratée en partie par une météo capricieuse : « On nous a promis un rehaussement des quotas, mais la question est avant tout de savoir si cela sera bénéfique aux senneurs ou aux petits métiers qui auraient bien besoin de plus pour vivre. Pour l’instant, on attend de voir si les conseillers de Cuvillier (ex-ministre chargé de l’Économie maritime, NDLR) vont rester auprès du nouveau secrétaire d’État Alain Vidalies », explique Christian Molinero, dans l’attente d’une décision imminente : « La nouvelle devrait être connue en octobre. On verra bien alors si on nous délivre des autorisations de pêche supplémentaires. En réalité, on n’a pas besoin de grosses quantités ». À cela une explication : si les prises sont trois fois moindres qu’auparavant, elles sont largement compensées par des tarifs conséquents. Cet été, sur le quai des Belges, le kilo de thon rouge se négociait entre 18 et 20 €/kg.

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